L’éducation somatique

 

                     “La vie est un mystère qu’il faut vivre, et non un problème à résoudre “

Gandhi

 

         “L’éducation somatique c’est le champ disciplinaire de méthodes qui s’intéressent à l’apprentissage de la conscience du corps sensible (le soma) en mouvement dans son environnement.”

 

Le soma

Le mouvement

La conscience

L’apprentissage

L’espace

 

Soma

Le soma réfère à l’expérience intégrale du corps vécu de l’intérieur. C’est le corps vivant, sensible tel que perçu -certains diraient « construit » – par la personne. Parler du soma n’est pas opposer le corps à la psyché, c’est aborder la personne intégrée dans son existence phénoménologique et biologique. Travailler dans cette perspective, c’est considérer que le langage, les raisonnements, même les plus abstraits, nos émotions, nos fantasmes, même les plus emportés, sont des manifestations de notre activité biologique et neurologique. De ce point de vue, la conscience elle-même est considérée comme une caractéristique du vivant, elle fait partie des mécanismes mêmes d’autorégulation des systèmes vivants. Une approche somatique est intégrative de la personne vivante « incorporée ». Quand on ajoute à cette notion de soma celle d’éducation, alors on précise une dynamique et une méthodologie pour l’apprentissage et le développement à base d’expérience concrète. Les méthodes d’éducation somatique sont déterminées par quatre grands axes suivants :

– l’apprentissage (et non pas la thérapie),

– la conscience du corps vivant et sensible (et non pas le corps-objet appréhendé uniquement de l’extérieur)

– le mouvement (et non pas la posture ou la structure),

– l’espace ou si l’on veut, l’environnement (et non pas un repli sur les frontières d’un soi à fleur de peau).

 

Mouvement

Il se rapporte au déplacement du corps dans le champ de la gravité et dans l’espace. En cela on s’intéresse à l’anatomie, à la physiologie, à la kinésiologie, à la biomécanique, à l’ergonomie, à la neurologie et à la neuropsychologie. En éducation somatique, tout en étudiant ces matières de connaissance du corps objectivé, on s’assurera de prendre, face au corps vivant, une perspective phénoménologique, c’est-à-dire un point de vue à la première personne, au « je ». Connaître les noms des os et les points d’insertion des muscles, étudier les lois de la physique du mouvement des poids et des masses, c’est une chose. Sentir ces phénomènes et connaître en soi le mouvement, c’est presque autre chose. En fait, depuis la naissance, nous apprenons à rouler, sauter, marcher, puis skier, monter à vélo, sans jamais savoir que nous avons des muscles. D’où l’importance d’une pédagogie qui s’appuie sur notre expérience avant tout. En éducation somatique, nos capacités de réfléchir, d’analyser, de rationaliser et d’objectiver, sont bien sollicitées, mais en s’appuyant avant tout sur l’expérience concrète, personnelle et autonome de la personne et de l’éventuel praticien. Le mouvement, c’est aussi la base même de la vie, l’ingrédient par excellence du développement du cerveau voire de la personne elle-même.

 

Conscience

« La prise de conscience » se réfère à l’habileté des systèmes vivants à connaître et à réguler leur comportement en fonction du feed-back qu’ils produisent en agissant. Nous visons donc ici la capacité à sentir, à ressentir, de même que la pensée elle-même, mais dans l’action et à l’occasion de l’action. Ainsi la conscience est abordée en tant que phénomène biologique. La conscience est un phénomène du vivant. La subjectivité passe au champ des objets d’étude.

 

Apprentissage

Le mot «apprentissage » identifie quant à lui la capacité des systèmes vivants à se développer, à innover, à s’améliorer, à créer des connexions neuronales plus solides, et par là à devenir plus matures dans leur autorégulation. C’est ce que les méthodes d’éducation somatique permettent de faire par le mouvement guidé par la parole ou par le toucher, en groupe ou individuellement. En choisissant d’emblée un paradigme d’apprentissage, les méthodes d’éducation somatique se distinguent de la plupart des autres pratiques somatiques qui s’intéressent à la thérapie que ce soit d’un point de vue psychothérapeutique ou kinési-thérapeutique. D’ailleurs, lorsqu’on utilise le terme « thérapie » et le paradigme « thérapeutique », c’est pour véhiculer une conception qui puise à la pathologie et au modèle médical. On s’intéresse alors aux symptômes, à leurs causes, au traitement des blessures et à l’identification sinon à la réactivation des traumatismes. Les méthodes d’éducation somatique proposent d’améliorer l’autorégulation, elles posent l’objectif d’apprendre à apprendre, elles favorisent la capacité des individus à se prendre en charge et à avancer dans l’action. Par là, les méthodes d’éducation somatique présentent bien une pertinence pour faciliter la guérison, pour la prévention. Mais la guérison survient comme un bénéfice marginal de l’apprentissage. Par ailleurs, au-delà de sa pertinence en santé, le potentiel de l’éducation somatique se manifeste pour la performance artistique et sportive, pour l’éducation, l’apprentissage scolaire et pour la qualité de vie en général.

 

Espace

L’espace ou environnement donne au corps vivant son contexte, là où il y a de l’air, de la nourriture, d’autres humains, d’autres espèces, d’autres objets, en continuité avec soi. La reconnaissance de l’importance de l’espace et de l’environnement permet en éducation somatique de dépasser une vision centrée sur un soi limité à la surface de la peau. L’éducation somatique s’intéresse au soma et à « l’incorporation » en tant que base pour la perception et la conscience et en tant que support pour l’action dans un monde lui aussi vivant, en continuité avec le corps vivant. La reconnaissance de l’importance de l’environnement dans ce processus confère une place importante à la socialisation : l’image du corps en particulier et la forme même du corps vivant émergent dans les familles, dans les sociétés, grâce aux langages, aux symboliques et aux formes de pensée qui forment ce soma et qui en règlent les interactions.

 

Source : «La méthode Feldenkrais d’éducation somatique?» par Yvan Joly, praticien et formateur publié dans Bulletin Feldenkrais France, no. 38, février 2000.