La forêt comestible
“La nature et tout ce qui grandit, la paix et tout ce qui s’épanouit, tout ce qui fait la beauté du monde est fruit de la patience, demande du temps, demande du silence, demande de la confiance.”
Hermann Hesse
La forêt est l’organisme qui produit le plus de nourriture par mètre carré. Elle régule et permet de stocker des quantité phénoménales d’eau, régulant ainsi le climat. C’est la pointe de la technologie végétale.
La forêt fruitière est une étape de l’évolution de la forêt. Quand l’humain participe de cette étape, en cohérence avec les dynamiques du lieu, il devient jardinier de forêt comestible. La forêt cultive alors à son tour la terre du cœur du jardinier.
La « forêt comestible » aussi appelée « agroforêt », « forêt nourricière » ou encore « jardin-forêt » est un agrosystème imitant la forêt naturelle et organisé intelligemment pour une production de nourriture écologique. Ce modèle d’utilisation du sol trouve ses origines dans les temps les plus anciens de l’histoire de l’Humanité. Remis au goût du jour par la permaculture, la forêt nourricière fait aujourd’hui son grand retour.
Paysage étagé, luxuriant, il propose une incroyable gamme de comestibles (fruits, graines, tubercules, feuillages, fleurs, médicinales, produits de la ruche…). Les plantes, majoritairement pérennes, permettent un faible entretien et donnent au système sa durabilité. Un jardin presque sans jardinier. Certaines zones ensoleillées, d’autres, toujours productives, ombragées. Clairières potagères, mares alimentaires pourront en être aussi. Ces nouveaux jardins peuvent prendre place à la campagne comme en ville, sur de petites surfaces ou de grands territoires, en répondant à des besoins privés ou collectifs, commerciaux, pédagogiques ou vivriers.
Histoire et définition
L’intégration du concept à celui de la permaculture
L’architecture de la forêt
Les principes connexe à la permaculture, une relation avec un lieu à l’image d’une relation avec une personne
Ce que l’association cultive par cette dynamique, un projet engagé
” Il n’y a pas d’erreur, juste des expériences. “
Karim Amarni
Histoire et définition :
Le grand récit occidental de l’essor de l’humanité, progrès et civilisation, a ancré en nous cette idée de domestication des céréales et le travail de la terre, laissant aux oubliettes plusieurs centaines de milliers d’années de développement du genre homo dans les forêts. Ce schisme s’est fait lentement, passant du sylva à l’agrer.
Et pourtant, la plupart des paysans du monde ont compris et mis à profit la complémentarité essentielle entre arbres et cultures. Encore dans les années 60 les paysages ruraux français regorgeaient d’arbres et forêts paysannes (bosquets, petits bois, vergers, haies, maquis). La politique de modernisation de l’agriculture, à travers le rendement, la mécanisation et la protection chimique des cultures a éliminé l’arbre de nos paysages agricoles.
Aujourd’hui, le concept d’agroforesterie revient sur ces pas, bien qu’il se réalise sous différents formats, allant d’un agrer ponctué de sylva à la forêt nourricière, façonnée à l’image des grandes forêts sauvages.
S’inspirer des successions, des cycles, de la façon dont la forêt agence ses plantes dans le temps et l’espace, comprendre qu’elle est en constante évolution, sans recette miracle, ni de plan universel, en chaque lieu et en chaque situation qui différent, conduit le résultat final à une telle complexité et devient si particulier qu’on ne peut que « faire avec » ; faire avec ce que l’on voudrait, ce dont on a besoin, ce qui marche ici et maintenant.
“Une telle complexité, allant bien au-delà de la compréhension humaine, discrédite ces guildes toutes prêtes qui correspondraient à une clé de réussite pour produire en tout terrain.”
Fabrice Desjours
Il s’agit de réapprendre la forêt, avec notre intuition, au moins autant qu’avec notre intellect. Oublier ce que nous avons appris de l’agrer : l’ordre simple, la compartimentation (« culture » – « mauvaises herbes » – « parasites et ravageurs »). Que les plantes ne sont pas équivalentes, que les dites « invasives » sont « cicatrisantes » et que certaines peuvent être « sacrificielles » pour rendre possible l’avenir. Que la forêt, méga-organisme, est faite de mutualisme, plus que de compétition. Il y a communication et coopération, tels les cellules et micros organismes qui constituent un organisme humain, en relation avec son environnement, la terre, l’air, les espèces qui l’entourent.
Pour être agroforestier, pas besoin d’étudier et de passer des diplômes, il faut commencer par observer, sentir, deviner, puis expérimenter et échanger. Inventivité, sensibilité et humilité sont les qualités essentielles à acquérir.
” Quand on se plante, on pousse “
Inconnu
L’intégration du concept à celui de la permaculture :
La permaculture est, selon ses concepteurs David Holmgren et Bill Mollison, à la fois une science et un art de concevoir des écosystèmes régénératifs, en s’inspirant du fonctionnement du vivant. Ce mot est formé de permanent et culture. Sous l’impulsion de David Holmgren la permaculture s’élargit à un mode de vie plus autonome, durable et résilient, où se pose la question de l’impact de nos actions dans l’environnement.
Bill Mollison, a rendu visite à Robert Hart dans son jardin-forêt de Wenlock Edge en octobre 1990.
Celui-ci inventa un système basé sur l’observation. La forêt naturelle est divisée en sept niveaux distincts, depuis les grands arbres fruitiers (couche canopée) jusqu’aux plantes potagères et aromatiques (couche couvre-sol) en passant par les petits arbustes à fruits comestibles (strate arbustive). Depuis cette rencontre, entre le fondateur de la permaculture et Robert Hart, les sept couches du système de végétation ont été adoptées comme un élément de design en permaculture.
Les différences entre une forêt naturelle et une agroforêt sont liées à l’action de l’homme qui transforme une forêt naturelle en une « forêt cultivée ». Le principe même de l’agroforêt est donc l’organisation de celle-ci par l’homme afin de transformer la forêt naturelle en une forêt un peu plus nourricière qu’à son origine. L’objectif de la forêt nourricière est de produire des fruits sains, avec le moins de travail possible tout en respectant la nature et en s’inspirant des systèmes naturels forestiers.
L’architecture de la forêt :
La « forêt comestible » a de nombreuses caractéristiques. Les 2 qualités principales des forêts comestibles sont une forte densité de végétaux et une intervention humaine minimum.
Il y a plusieurs niveaux de végétaux. Au sous-sol, ce sont les légumes-racines.
Le 1er niveau, au ras du sol, est occupé de végétaux rampants, de légumes, d’herbes diverses.
Le 2ème niveau est constitué de petits arbustes (framboisiers, groseilles, cassissiers, …).
Au 3ème niveau on trouvera les fruitiers « classiques », des arbres entre 2 et 4 mètres de hauteur.
Au 4ème niveau, il y aura des arbres bien plus hauts constituant la canopée.
En complément de toutes ces strates, s’insèrent les lianes.
Ces végétaux cohabitent et coopèrent pour créer un milieu résiliant et autonome. L’humain se contente de mettre en place les conditions idéales pour que les végétaux se développent, implanter des individus adaptés.
Les principes connexes à la permaculture, une relation avec un lieu à l’image d’une relation avec une personne :
Faire de la permaculture, c’est d’abord observer, et ainsi comprendre les principes qui sont en jeu dans l’espace choisi. Si on considère son jardin comme une personne, on vient à la rencontre d’ une nouvelle personne. On ne sait pas grand-chose sur elle, rien de sa personnalité. On prend le temps de faire connaissance, d’observer, d’écouter et de décider si on a envie de créer une relation ensemble qui pourra être profitable aux deux parties.
Entrer en résistance contre ce jardin ne sert à rien, il s’agit d’avoir conscience de la situation, de s’adapter et de prendre le temps de faire évoluer les choses doucement, si cela est possible.
Cette interaction est continue. Il faudra constamment observer, interagir et s’adapter, accompagner et aider seulement à développer certains aspects de ce qui est.
L’idée est de trouver le point de rencontre entre ce qui est et ce que l’on souhaite, une recherche continue d’harmonie. Un espace avec des caractéristiques et un humain avec ses besoins et ses envies se rencontrent. Le cercle des possibles et celui des besoins vont se rencontrer. La proposition est de mettre en place les actions qui sont communes à ces deux cercles, et par la suite, si possible, améliorer l’interface de rencontre entre rêve et réalité.
Gérer l’espace avec la contrainte du sol, les atouts à exploiter et développer pour prendre soin du sol et de l’espace. Continuer d’observer, comme dans une relation avec un partenaire, la seule manière de créer un lien harmonieux et durable, co-évoluer en restant constamment à l’écoute de l’autre.
En permaculture, l’idée forte est de faire en sorte de dépenser peu d’énergie pour que les systèmes s’auto-entretiennent. Il est important de clôturer ou du moins limiter les cercles vicieux et d’encourager les cercles vertueux. Ainsi réfléchir avant d’agir est la clef pour dépenser moins d’énergie, en faisant un plan avant de se lancer, d’anticiper. Le tout est ensuite de ne pas “trop” réfléchir. Tout ne pourra pas être optimisé en une fois. Se lancer donc et démarrer petit, pas à pas, très doucement, en continuant à observer et à apprendre.
C’est un dialogue permanent entre soi et l’environnement. Nous essayons quelque chose. À la réponse, nous décidons si cela convient, dans le bon sens pour répondre à notre grand objectif. Puis nous ajustons si besoin.
L’autonomie de l’écosystème qui se régule lui-même et prospère sans l’intervention humaine, voilà l’intention en permaculture. C’est le principe d’homéostasie. Un système revient par lui-même à son point d’équilibre. Si on le laisse faire, si on pense à un terrain comme à une personne, il reste lui aussi unique, avec son caractère, ses manies et ses particularités. Son point d’équilibre sera un peu différent en fonction de chaque lieu, de chaque moment de son évolution.
Au lieu de chercher des protocoles tout prêts, voir ce qui fonctionne dans ce « ici et maintenant ».
Inventer ses solutions, les adapter sur mesure aux problèmes présents. Garder en tête que chacun doit trouver des réponses qui répondent à sa propre question. Et qu’aucune question n’est identique.
” La lenteur c’est le bonheur “
Eric-Emmanuel Schmitt
Ce que l’association cultive par cette dynamique, un projet engagé :
L’association s’investit pour créer une forêt comestible et participer au développement de cette dynamique. Mais aussi et surtout susciter du lien entre “jardinage intérieur” et jardinage forestier sur les principes de la permaculture. Ainsi rendre accessible à tous cette double pratique. Pour ce faire, l’association développe l’aspect pédagogique à travers la préparation de l’espace pour pouvoir y faire des visites guidées et des ateliers.
La forêt en lien avec l’association est aussi une forêt engagée. Cet espace cherche à être une pépinière d’idées, de pratiques, un espace où foisonnent réflexions, créations, études, essais, expérimentations pour changer nos regards sur le monde, sur nous-mêmes, sur nos sociétés, tout en régénérant notre terre intérieure et la terre qui nous soutient, en respectant le vivant.
Par la création de jardins-forêts, à la campagne comme dans les villes, nous pouvons, tous ensemble, « reforester » de manière intelligente et créative, en utilisant des espèces stratégiques et pérennes pour produire notre nourriture. Et ces techniques agroforestières, à la fois si anciennes et si modernes, qui dynamisent les cercles vertueux, créent l’abondance, tout en permettant de vivre en harmonie avec les autres espèces. Qui plus est, nous faisons partie intégrante de la nature et avons un rôle écologique bienfaiteur et majeur à jouer. Nous pouvons redevenir les gardiennes et gardiens de la biosphère, à l’image des peuples premiers de climat tropicaux ou tempérés… Dans les combats écologiques et géopolitiques à mener, les plantes et le savoir des peuples premiers sont nos meilleurs alliés.
Sources :
Geneviève Michon (ethonobotaniste et directrice de recherche à l’IRD).
Jardins-forêts, Un nouvel art de vivre et de produire – Fabrice Desjours
La vie secrète des arbres – Peter Wohlleben
L’association la forêt gourmande
lespritdesforets.fr